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Voilà de la pensée (1968)

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Voilà de la pensée qui s’envole, qui ne passe pas par ma main, qui se transmet à une main que j’aime. Pour qui me prends-je ? Un des amis qui me fut le plus cher s’est servi de ma main pendant des années pour que sa parole s’inscrive sur une feuille blanche, sur la neige, de laquelle j’essayais de poursuivre le traîneau de tout son être entraîné par mille chiens. A mon tour de n’avoir pas de scrupules, à mon tour de ne pas me relire et de faire confiance à cette main qui n’est pas la mienne pour venir raturer. J’aime à présent dicter. La pensé s’évade d’un geste pénible. Ecrire ou peindre, comme disait Rimbaud, quel affreux travail, jamais je ne serai esclave de ma main.

Mais ici commence le poème d’amour. Celle que je regarde écrire est la main que je n’hésiterais pas à perdre instantanément car je sais qu’en elle vivrait plus encore ma matière et mon être qu’en la substance dont la science du graphologue pourrait tirer vanité.

Je retrouve mon Socrate, coupe-moi les mains, paralyse-moi la langue, rien dans mon souffle jamais ne cessera d’exister.

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Ecrit à Acajutla, San Salvador, le 1er juillet 1968