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Un portrait vu à travers l’oeuvre (1978)

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La lente déstructuration du hibou, à son point absolu semble devenir masse. Alors qu’à ce point la conscience resurgit dans la totalité de l’origine de la vie, tout reste à refaire. J. Raine portant à son extrême conséquence une recherche qui va de Soutine à Ernst, n’a pas hésité à franchir des abîmes. Avec beaucoup de courage, il a plongé dans un domaine que bien des artistes, dans leur soif d’absolu, ont habilement évité : la complexité du magma organique, son continuel massacre et sa dialectique sans synthèse. Il s’agissait de réinventer des formes anamorphiques mais signifiantes et ambiguë pour essayer de capter leurs échanges imperceptibles de matière que l’oeil, Hélas, n’a aucune possibilité de percevoir. La tâche était ingrate mais la réussite, dans le cas présent, me paraît sans précédent.

La nouveauté est d’avoir condensé en peu d’espace les cycles complexes d’une possible évolution de la matière. Sommes-nous, comme nous le croyons, des êtres logiques ou bien notre champ est-il plus vaste dans lequel nous avons peur de nous aventurer ? La dispersion est-elle notre force d’être ? Celui qui naïvement s’oppose au cours du "temps", ce temps qui pour Picard est une fuite devant Dieu et devant l’homme, est donc un ennemi de lui-même ?

Un oeil impitoyable, celui de Jean Raine, oeil angoissé qui scrute la matière dans son élaboration, dans son dynamisme et dans son rêve. La mythologie simpliste du passé est retrouvée scientifiquement. N’oublions pas que Jean Raine a fait des études scientifiques ; le temps existe-t-il ou est-il un trompe l’oeil qui déforme l’espace, menaçant d’outre-passer des limites.

Un oiseau devient femme, une femme dédouble son visage, troisième oeil qui devient nuage. On retrouve Arcimboldo dans son ambiguïté. L’asticot devient mouche, la mouche papillon, le papillon sera lui aussi une nouvelle métamorphose éphémère de la matière.

Voici un défi à tous ceux qui cherchent aux formes une stabilité qui les rend immuables. Jean Raine ne peut que donner une réponse agressive. On vit, on imagine, on invente. Quelle force nous pousse à sans cesse nous dépasser par le truchement de la fiction ? Nul ne le sait, ni ne se soustrait au destin de la comédie et de la tragédie. Chacun se bâtit son théâtre, personne n’échappe à sa pauvreté et à sa richesse.

Jean Raine déteste et aime la critique. La critique ne peut être que critique quand la poésie s’impose dans sa puissance. Deux yeux n’en valent pas trois. Il peint dans un grand geste. Le sel de la mer lui brûle la vue, il souffre. Oh ! Ses beaux paysages de Flandre ! Je ne suis pas flamand mais j’aime les plages de sable fin. L’amour s’impose. Pour voir ce qu’on ne voit pas, il faut un troisième oeil.