Jean Raine fait partie de ces très emblématiques poètes tourmentés, fils maudit des Maudits. Au vingtième siècle, le vernis du classique permettant encore de se protéger sous des sujets généraux a sauté, laissant le champ libre à des expérimentations à la fois sans borne formelle et profondément personnelles ; Artaud fouille le réseau des nerfs ; Crevel la raison, Mansour le sexe, Luca la répétition, Joë Bousquet, Messagier, Ponge l’immobilité (en bref et en France). Pour Jean Raine, il s’agit des affres du "oui, du non et du peut-être" (levés par Cocteau). Là est sa douleur qu’il nous fait partager ; il passe son temps d’écriture à résoudre des problèmes de métaphysique dont il nie aussitôt les solutions - chaque fois ce qu’il sait contre-dit ce qu’il avoue verbalement ignorer.
Il ne se résout pas à prendre du recul et (à l’ancienne) d’être le témoin des troubles de l’existence. Jean Raine est dans l’incapacité de choisir une quatrième voie, celle qui tire les leçons de la philosophe.
Nous sommes pris dans la tourmente ; les vapeurs de l’alcool et de la pensée forment des images claires qui se dissolvent instantanément et font des poèmes de Jean Raine des objets mélancoliques. Ses poèmes ont toujours été écrits à la main... Jean Raine ne connaissait aucun clavier (saluons l’exploit). Sa pensée couvre d’encre les feuilles volantes tout format, couvercles de boîtes à chaussures Weston et Prisu, papiers d’emballage. On les voit aujourd’hui présents dans de "beaux cadres" ; il faut les imaginer dispersés de son lit à la rue comme des dazibaos résolument convusifs et anti-maoistes que l’amour d’une épouse a sauvés une première fois des flames.
Chez Jean Raine, la forêt cache l’arbre. La masse finalement considérable de ses écrits jouera, je n’en doute pas, encore contre lui. Il faudrait deux mille ans de destruction et d’oubli pour arriver comme pour son maîte d’Ephèse, à une poignée de fragments diamantifères. Ne boudons pas notre plaisir d’un trop plein radical et pénétrons la colline de ses mots pas encore brûlés. Armés de patience, remenons les siècles à quelques secondes et gouttons au foisonnement de la pensée qu’à chacun il laisse le soin de discerner.