Jeanine Bressy présente à la Galerie l’Oeil-Ecoute à partir de ce vendredi, une exposition des oeuvres de Jean Raine, oeuvres récentes correspondant à ses travaux exécutés durant les trois dernières années mais aussi quelques encres plus anciennes qui seront comme autant de repères dans l’évolution de ce peintre. Sa dernière exposition lyonnaise remonte à 1975. Il est à déplorer que Lyon n’ait pu donner à cet artiste dont l’activité artistique est intense et reconnue, un lieu à sa mesure ou à sa démesure. Veut-on le confiner dans son personnage d’artiste maudit ne dessaoulant jamais ? Aurait-on encore, dans cette ville bien pensante à l’ombre de Fourvière, peur des personnages excessifs, extravagants ? Il est vrai qu’on aime ici réhabiliter ; souvenons-nous de Marcel Michaud ou de Combet-Descombes entre autres.
Bien sûr Jean Raine dérange les idées, les certitudes douillettement ancrées. Installé dans une partie du vieux château de Rochetaillée-sur-Saône depuis 1968, face à un paysage qu’il n’aime pas, il vous accueille en citant la carte de voeux d’un de ses amis : "Désespérer est la seule activité digne qu’on s’y adonne".
Depuis neuf mois, le temps d’une gestation pour l’être humain, il ne peint plus : "Je préfère une paresse douloureuse à un acte qui me paraît dérisoire". Il a toujours écrit manipulant avec rudesse mais avec une facilité délirante les mots : "J’aime la phrase à l’emporte-pièce. J’ai beaucoup écrit, peu publié. Ca ne m’intéresse plus une fois fait. J’ai l’impression de travailler à mes oeuvres posthumes. Je suis très déçu quand je relis.
Ecrivain, poète, peintre, cinéaste né à Bruxelles en 1927. Etudes à l’Université de Bruxelles, puis à la Sorbonne et à l’Institut des Hautes-Etudes à Paris. Magritte, Alechinsky et les autres, tel est le début de sa biographie.
A quinze ans cet adolescent brillant et curieux de toute rencontre à la Taverne du Palais des Beaux-Arts de Bruxelles, le groupe surréaliste belge qui se réunissent autour de Magritte. Eux travaillent à leurs publications, leurs tracts, leurs catalogues, lui collabore à la revue des Jeunesses musicales. Le surréalisme, il l’a découvert en séchant les cours du lycée, dans les librairies où il fouille et feuillette afin d’étancher sa curiosité, il découvrira ainsi un des premiers textes d’Antonin Artaud.
A la fin de la guerre, dans cette époque de l’après cauchemar où l’on s’attend à une nouvelle renaissance, il est lié aux surréalistes belges. Il écrit et réalise des collages. Inscrit à l’Université de Bruxelles, il choisit de faire en sciences politiques et administratives une étude sur la fin du capitalisme. "Je pressentais le désastre où le destin de l’homme me fige de terreur".
C’est à ce moment qu’il rencontre Alechinsky, au cours des réunions qu’organisait Luc Hasaerts dans Bruxelles, alors foyer d’un activité artistique internationale.
Henri Langlois et le cinéma.
Autre rencontre importante, celle d’Henri Langlois, directeur de la Cinémathèque française venu à Bruxelles présenter sa première exposition à l’étranger. Raine avec la fougue de ses vingt ans a une passion pour le cinéma. Il accepte donc la proposition de travail que lui fait Langlois et jusqu’en 1961, collabore à la Cinémathèque. Comme dans le même temps il a épousé une comédienne française il part pour Paris : "En 1947 j’étais un des premiers artistes belges à m’installer à Paris".
"Je connaissais les gens que je voulais connaître", les surréalistes belges, puis les français, Gaston Bachelard, Pierre Mabille...
Il se méfie du surréalisme révolutionnaire qui flirte avec le communisme, mais sous la pression d’Alechinsky, il écrit des articles pour les revues de COBRA en 49, 50 et 51. Co.Br.A (Copenhague, Bruxelles, Amsterdam), mouvement artistique venant du froid est né en 1948 de la triple rencontre du groupe abstrait surréaliste danois (Asger Jorn, Pedersen) avec le Groupe expérimental hollandais (Appel, Corneille) et avec les Belges, le poète Dotremont et le peintre Alechinsky. La revue éditée par le groupe qui permettait aux créateurs non seulement de s’exprimer, mais aussi de s’informer et de se cultiver, paraîtra jusqu’en 51.
De cette époque Jean Raine dit qu’il avait besoin de faire mille choses, de se dépenser : "Aujourd’hui le moindre travail m’in supporte".
Mais il fallait aussi vivre et la littérature nourrit rarement son homme. Il doit exercer différents métiers manuels tels, peintre en bâtiment ou apprenti plombier, mais surtout il réalise des films pour gagner sa vie, des films publicitaires et des films d’ethnographie. En 1956 il tourne avec Luc de Heusch un film sur Ghelderode dont il connaissait et aimait l’oeuvre depuis longtemps.
De la poésie surréaliste à la peinture COBRA
C’est à ce moment-là que la poésie lui devient pénible et douloureuse. "Les mots étaient teintés d’impuissance. J’étais dans un cul de sac. Aucune proposition ne me semblait satisfaisante. J’étais resté très surréaliste car pour moi c’était l’infrastructure théorique qui semblait donner des fondements humanistes à une démarche artistique. Je me suis mis à peindre intensément vers 1958.
Il avait toujours dessiné et était issu d’une famille de peintres néanmoins très conventionnels. Alechinsky l’encourage vivement, peut-être même lui donne quelques clefs. En tous cas le poète surréaliste devient un peintre de COBRA. Jean Raine trouve rapidement dans la peinture, un moyen direct pour exprimer sa violence, ses pulsions, ses angoisses. La feuille de papier au sol, il s’extériorise sur elle sans retenue, peignant par série, par cycle dit-il, jusqu’à l’épuisement physique. "En 60, ma peinture est devenue satisfaisante, j’ai commencé à la garder.
Puis il s’oblige à quatre années de continence avec les encres où seules existe la lutte du blanc contre le noir. "En réalité, ces encres sont les clefs de mon oeuvre, elles annoncent toutes les séries à venir.
La période américaine
C’est alors qu’il va vivre deux ans à San Francisco. "Dans ce paradis terrestre qu’est la Californie, les couleurs vous assaillent à tel point que je me suis remis à la couleur. Cette période de ma peinture ne ressemble à aucune autre".
Elle ne ressemble à aucune autre aussi parce que, pour la première fois, Jean Raine va pouvoir vivre très largement de sa peinture. Il expose, il vend, il rencontre des gens et non des moindres, échange des idées. Il apprend à connaître la peinture américaine par le moyen des articles de critique qu’il écrit pour des revues, mais c’est surtout le phénomène hippie qui le fascine.
On conçoit que l’arrivée à Rochetaillée-sur Saône (Sanky sa femme s’étant engagée à venir travailler à Lyon) soit vécue comme un point de chute au sens littéral du terme. "Je me suis demandé dans quel ghetto j’étais tombé". C’est un peu comme un grand vaisseau qui serait venu s’échouer, même si la production artistique est intense, l’écho qui lui en est donné manque souvent de force.