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Préface (1984)

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"Il paraît qu’il y a un mouvement de pensée qui entreprend, dans une perspective de longue durée, de se fabriquer une véritable culture après avoir sondé, dans un mouvement de lucidité, son ignorance. D’où le besoin de retourner aux grands textes, de les lire..." Pierre Rosanvallon, Libération 2 janvier 84. Jean ne se débattait pas dans d’autres contradiction en 1960. On dit que Jean Raine a tout lu à trente ans, quand il crève et qu’il se noie, il sait tout d’une jeunesse vieille". Il venait de perdre "Socrate est un voyou", sa pièce. Où ? Dans une caisse de déménagement, un couloir de la Cinémathèque où à la fin tout ce qui se croise se ressemble, même Langlois, à tous les étages, les déconfitures, les étages filmés replis de types qui s’arrêtent et se penchent sans cesse sur une image, un bout de coton, une ampoule allumée, un regard déroulé d’un oeil... Sa pièce était écrite en grec, et du meilleur.

Jean ignore très tôt dans le texte. Nulle échappatoire. Il fabrique un radeau pour trouver de nouveaux fonds. Près de Pierre Mabille, près de Louis Scutenaire. Sans compter l’expérience COBRA. Jean va aux sources, comme à celles de Stéphan Lupasco, étudiant des érudits, des chercheurs, de Gaston Bachelard.

Dans les corridors de la Cinémathèque, qui ne dorment ni ne veillent, Jean Raine a sans doute trop entendu se répéter cette phrase derrières les murs : "vous en savez trop pour un seul homme, parlez" ! Il a parlé le bougre, comme il a plu des coups. Je l’ai vu sur le qui-vive : un suicidé particulier, celui-ci consiste à rester en vie. Une autre méthode. Le Journal d’un Delirium aurait dû être son testament. Le temps qu’il s’écroule, il ne reparaîtra pas. La connaissance d’un grand texte n’a opposé aucune résistance à l’ignorance, au contraire, l’ignorance y participait ; elle en est l’objet tragique. Vingt ans après, il semble rescapé. Sondeur.

Les grands textes qu’il n’ignore pas avoir trompés font partie de ces doux conseils, toutes les tragédies sont les nôtres, c’est la lucidité que traquent toutes les formes assassines. Epousons nos distances. J’ai vu Jean Raine se changer physiquement souvent. Je vois que je ne le verrai jamais autre qu’un fragment de vérité applicable à la valeur de l’instant, comme la pierre d’Ephèse, malgré le gras, le brouillage, la chute et l’impermanence des mots, une autonomie irréductible, sommaire, un oxygène comprimé qui se délivre.