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O Toi Soutine (1968)

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Blanc, je pense à ce blanc qui m’insupporte, à la lumière que haïssait Proust, et ne puis m’empêcher de penser que des peintres aient eu besoin de blanc. O sans doute pour alléger des couleurs abusivement obscurcies par un académisme chargé d’une tradition dont ils n’avaient pas compris la contrainte. O ce blanc ! Non je n’en peux subir l’aveuglante inefficacité : qu’une couleur sombre comme on s’enfonce dans la mer et qu’aucun ciel jamais ne vienne en racheter vulgairement l’obscurité. Toi Soutine malgré la lumière du midi, moi Jean Raine rien que dans mon ombre, dans l’ombre que mon corps fait lui-même autour de soi, je déteste les blancs comme toute forme d’optimisme dont on n’a rien à attendre de bon qu’une certaine clarté.

Céderais-je à cette clarté qu’elle me paraîtrait sombre. Je pense à des amis pour lesquels le blanc est la planche couleur de leur salut. Je les respecte et je les plains. L’abîme tous les deux nous habite, celui qui blanchit et celui qui charbonne. Mon humeur est de charbonner, non pas au fusain comme dans les académies, mais aux couleurs qui se nient, qui se tuent mortellement et qui pour finir font encre.

On ne m’enlèvera pas l’encre du sang. J’ai vu des sources sulfureuses, des marmites d’une terre que je respecte de ne pas s’effriter sous l’assaut délétère d’eaux troublées profondément par le feu, d’eaux en furie dans le vase clos, si clos qu’il est étonnant qu’il la contienne, mas rien n’égale la noirceur que j’attends des couleurs. Oserais-je dire que je les voudrais noires toute ma vie ? Assurément non, je me sens encore un démon jeune obligé d’être noir, capable d’être un jour un démon incandescent mais noir encore je l’espère, noir, toujours noir. Ce testament est écrit à l’instant d’un départ, car de nouveau la route, le soleil sur la mer, le bleu profond des jours parfois. Qu’ai-je à voir de ce qu’on voit. O je vous aime mes eaux troubles.

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Rédigé à Acajutla, San Salvador