Qui vais-je appeler ? Dans la cabine téléphonique du Bar Viola, - pourquoi, mais pourquoi ? Je m’acharne sur le 15 pour appeler l’étranger. Dans un grésillement les mots se désintègrent et à présent je hurle : "pronto".
Un souffle me parvient, apparence de voix, de réponse à la question qu’un autre avait posée : "Le Welkom ici. A qui désirez-vous..." J’ai l’un ou l’autre nom sur le bout de la langue, que je m’efforce en vain à prononcer. Marcel Broodthaers est-il là ? Ou Christian Dotremont ? Comme si je les voyais, attablés dans ce café, entourés de visages qui me sont inconnus. Photographie présente, instantanée. Qui sont-ils, ceux dont les regards se croisent dans un nuage de fumée, ceux dont les lèvres murmurent mon silence ? Que se dit-il de bouches à oreilles et que je n’entends pas ? Qu’importe. Des rêves, des illusions forment un brouillard épais.
Bientôt il fera jour. Sur les tables, les verres n’auront plus que la couleur du vin. Le Welkom va-t-il disparaître comme effacé, ou gommé, ce navire par l’aurore.
Non, pris sur le vif, les fantômes continuent d’exister. Le crayon les a surpris avant que le jour naisse. Reverrons-nous ces visages demain ou dans dix ans, sur la mer, dans un train ? Bagages sans mémoire, transparentes valise, le hasard dans un dessin fait se reconnaître ceux que disperse leur Voyage.
J.R.
Calice Ligure, le 9 septembre 73