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Lieux de peinture (1984)

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BRUXELLES. COBRA

ALECHINSKY Pierre né à Bruxelles le 19/10/27
Rencontré chez Luc Hasaerts vers 44 ou 45 je l’initie au surréalisme malgré les tabous que faisaient peser "La Jeune peinture" d’alors (abstraction froide, réalisme populaire). Pierre Alechinsky, généreux mais sans complaisance comme tous ceux qui ont du génie et le punch, pôle d’attraction, trop souvent mal compris, reste comme l’aurait dit Maeterlinck, l’ami lointain mais sûr, souvent sensible aux appels des cloches de brume et dieu sait qu’avec l’âge, les océans s’agrandissent et dispersent. Pierre rédigera la préface de ma première exposition à Paris à la galerie du Ranelagh en 1964. C’est lui qui m’avait présenté à Ginet, le propriétaire de ce cinéma-galerie. Amitié profonde et sans faille mais non linéaire, ma participation à Cobra n’eut pour seule raison que les liens qui m’unissaient à Pierre Alechinsky.

REINHOUDT D’HAESE né à Grammont Belgique en 1928
Lors de mes multiples voyages Paris-Bruxelles, "les Ateliers du Marais" furent pour moi un lieu d’accueil merveilleux et putride. Nous fûmes quelques uns à y être reçus dans un climat pas toujours sympathique. (L’argent fait assurément le moine), bien sûr, en l’absence de Christian Dotremont et de Jorn, exilés tous les deux dans le sanatorium de Silksborg en Danemark. Taillables et corvéables à merci, Pierre Alechinsky et moi supportions de plus en plus mal d’être les valets des autres. De fait nous ne fûmes pas trois mille en arrivant au port. Reinhoudt forgeait des balcons tandis que j’étirais la pellicule cinématographique bien souvent peu extensible. J’entends toujours la symphonie de l’enclume et du marteau. Cher Reinhoudt te souviens-tu encore, lorsque les temps étaient sombres, de nos escapades merveilleuses en Normandie ?

WELLES Florent
Cobra avait besoin de ses prolétaires de service. J’ai toujours détesté les bourgeois qui se donnent bonne conscience en adoptant un pauvre pour se prouver un altruisme absolument inexistant. Florent Welles n’a jamais été dupe. Sa culture de soi-disant prolétaire surplombait, et de loin, cette couche de nuages dont se satisfont des gens dont le savoir n’est que mirage.

L’AMERIQUE

REBOUL Claude
De tous ceux qui dans le monde irradient, Claude Reboul compte à coup sûr parmi ceux qui, partis de la Métropole et très précisément de Bretagne, ont créé un champ magnétique. Ce breton chauvin, marin dans l’âme, artiste en tous genres, qui plus est homme d’affaire averti, fut plus que tout autre l’incarnation d’une France qu’il voulait présente passionnément. Son opiniâtreté en dépit de la faiblesse et de la résistance des milieux officiels parvint contre vents et marées à créer l’Ecole française de San Francisco.
Sait-on en France que soixante mille français furent abonnés au journal "Le Californien" dirigé par Pierre Idiart et soutenu par Claude Reboul. Quelle joie pour un belge d’avoir contribué à cette entreprise par de nombreux articles et critiques d’art et par la vente d’oeuvres au profit de l’Ecole française. Sans Claude Reboul mon séjour en Amérique n’aurait pas été ce qu’il fut. Trop d’Américains ont oublié quelles sont leurs souches. Se "naturaliser", pardonnez l’immodestie, est le propre des gens intelligents. J’espère sans trop y croire que l’on peut rester soi-même en devenant un autre.

PELIEU Claude et BEECH Mary
Voici qu’exceptionnellement je me trouve confronté à la plus totale des négativités. Ferlinghetti, Claude Pelieu, Mary Beech, une bande de cons (je répugne à employer ce mot), comme égarés sur une autre planète et enfermés dans l’univers clos de leur incommunicabilité. Si j’en parle c’est que nous avons eu l’occasion de nous rencontrer pendant cette période exceptionnelle que fut le San Francisco de 1966-1968 et qu’ils symbolisent pour moi tout ce que j’ai détesté dans cette génération dite la génération des fleurs. Tous les vices, pour autant qu’ils aient un éclat, me fascinent sauf la médiocrité. N’est pas Hippie qui veut. Ceux qui se croient intelligents connaissent rarement leurs limites ; Ceci est vrai pour chacun y compris pour moi-même.

VARDA Jean
J’ai toujours détesté ce qui me dépaysait au delà d’un certain seuil de tolérance et ce fut le cas dans l’entourage d’un homme que j’ai connu en 1966 à San Francisco, sous des facettes multiples. Grand Seigneur le père Varda ! Nous nous rencontrions chez Claude Reboul, mais aussi à Saussalito sur ces épaves somptueuses où l’herbe répandait une fumée qui ne faisait plus voguer ces navires : la fumée de la drogue. Alan Watts, exclu de ses fonctions de professeur de psychologie à l’université, partageait ce bateau. Il était devenu le grand prêtre des adeptes du LSD. Varda, artiste authentique, a vécu la grande époque du bateau lavoir avec Foujita dont il fut l’ami. Charlemagne d’un nouveau monde, courtisé par d’innocents et enthousiastes éphèbes séduits par son chatoyant appareil vestimentaire.
Son oeuvre fut peut-être mineure mais le personnage était merveilleux, d’une sagesse quasi orientale. De passage en Californie, sa nièce, Agnès, pour laquelle je n’ai jamais eu qu’antipathie, se crut obligée de tourner un film sur son oncle. J’ignore ce que devinrent les prises de vue. Ma femme en profita pour prendre une série de photos alors que je co-pilotais le yacht de Claude Reboul sur lequel étaient embarquées les caméras. Ce jour-là je faillis devenir un assassin tant je souhaitais jeter par dessus bord tout ce beau monde de cinéastes méprisants. On l’apprendra peut-être un jour, Jean Varda aura été, tout comme Calamme, Pierre Idiart (rédacteur en chef du "Californien" journal français de San Francisco), Claude Reboul, des ambassadeurs dont la France peut être fière.

WEINBAUM Jean né à Zurich en 1928
né en Suisse, pays impitoyable pour les pauvres surtout lorsqu’ils sont artistes, il s’exila d’abord à Paris où il travaille comme maître verrier. Ayant largué toutes amarres, il débarque un jour chez nous à San Francisco après un tour du monde l’ayant conduit plus particulièrement en Inde et au Japon. Malade et sans ressources, le Comte d’Argencé, conservateur de la Brandage collection au Musée de la Légion d’Honneur, me l’avait envoyé alors qu’il cherchait à vendre quelques objets ramenés des Indes à ce musée d’Art oriental. Une amitié profonde s’établit rapidement entre nous. Je l’aidai à sortir du quartier noir où il avait provisoirement élu domicile et le présentai à la colonie française de San Francisco. Un sursaut de nostalgie le ramena en Europe en 197 où il exposa à la galerie Noumaga en Suisse. Exposition superbe où il ne vendit quasi rien.

L’ITALIE

MONDINO Aldo
Bien qu’inévitables - elles le furent historiquement au sein du groupe surréalistes parisien à l’époque de sa splendeur- les querelles de chapelle ont toujours existé. Ce qui m’a conduit à ce constat c’est qu’il fut rare, à Calice comme ailleurs, de trouver une solidarité entre artistes. J’ignore si Mondino éprouve pour moi la même sympathie et la même estime que celle que je lui porte. A lui de répondre. Peintre aux facettes multiples, nous avons certainement partagé un certain sens de l’humour et du déguisement. A coup sûr nous fûmes à Calice des histrions qui excitèrent souvent l’hostilité et la curiosité mais souvent aussi de solides amitiés. Sans lui, Calice n’est plus ce qu’il fut.

TORCELLO Vincenzo né le 15/5/44 à Savona, Italie
Lors d’une de ces nuits ligures, copieusement arrosée de "Nostralino", je rencontrai Vincenzo Torcello. Nous étions peu nombreux et ce fut le coup de foudre. Depuis je ne sais plus si je dois appeler Vincenzo un ami ou un frère et de plus j’éprouve le sentiment de l’avoir connu de toute éternité. Pastels à quatre mains, écrits divers, portraits, publications ont à tout jamais soudés les doigts de nos deux mains.

REY Michel
Dentiste diplômé il est vrai mais aussi photographe, cinéaste, sérigraphe, animateur de ciné-club, peintre amateur et j’en passe. Ce fut certainement mon premier ami à Lyon. Nous avons ensemble travaillé à des scénarios utopiques et même tourné en Ligurie quelques mètres d’un film inachevé. En 1970, il nous accompagna, ainsi que Claudette sa femme et Stanislas son fils, à l’île de Comacina où un atelier avait été mis à ma disposition par le Ministère de la Culture de Belgique. Des vacances, mais que ce mot convient mal. Remo Pastori mit le feu aux poudres en me demandant de participer à une exposition collective dont toutes les toiles mesureraient 1m x 1m. Sans enthousiasme au départ, je fus pris soudain de frénésie et exécutai 24 peintures sans me soucier de mes invités sinon pour m’en servir de coursier, chauffeur, photographe, assistant etc...
C’est à cette époque que Michel Rey réalisa un reportage complet de l’évolution d’un tableau et de nombreuses autres photos. Michel et son épouse Claudette sont des amis que l’on ne perd pas en chemin.

TROUVE Jacques né le 28/6/44 à Caen
Retranché dans la carrière même où il découpait les blocs de pierre qui allaient devenir ses sculptures, ce normand roux, à la fois ermite et nomade, surgit comme d’un désert ou des contes des mille et une nuits, vêtu de sa gandoura blanche. Ce berger de pierres, solitaire par nécessité plutôt que par choix nous a toujours accueilli par son sourire dont la chaleur est inoubliable. Une fois de plus c’est Calice qui nous a permis de connaître ce grand artiste ainsi que Maresa sa merveilleuse épouse. Celle-ci, susceptible de miracles, sut partager et donner tout, même lorsqu’il ne lui restait rien.

LYON

DEROUDILLE René
1968, retour d’Amérique. Première escale au Havre, premier contact avec l’Europe. Implacable destin que celui qui mène de l’andouillette aux truffes, mangées au Havre sous la pluie, à la rencontre de ce gastronome qu’est René Deroudille. C’est à l’occasion d’un mâchon lyonnais sur son lieu de travail que Sanky lui parla de moi et c’est à l’occasion d’une invitation à dîner à Rochetaillée qu’il fit ma connaisance et découvrit ma peinture en compagnie de Jean Jacques Lerrant son compère et ami, critique comme lui. Ce sont eux qui me présentèrent à Jeanine Bressy chez laquelle je fis ma première exposition à Lyon en 1972 (alors que depuis mon retour d’Amérique j’avais déjà exposé à Copenhague, Bruxelles, Palo Alto et même Calice Ligure). S’exiler, se réimplanter repose à chaque fois le problème de son existence et rend la vie rugueuse. Je n’ai jamais douté que la pharmacie et l’amour de l’art puissent déboucher sur un mariage parfait.
Ma dette de reconnaissance envers René Déroudille est immense.
Il serait temps qu’un éditeur rassemble ses écrits dans un livre témoignant de sa chaleur et de sa générosité. La qualité de son style fera de son livre un ouvrage passionnant.

LERRANT Jean Jacques
Se perdre de vue est devenu de nos jours presqu’une fatalité. Se rencontrer, une sorte de miracle ou de rêve. Ce rêve je l’ai vécu avec Jean Jacques Lerrant qui réalisa pour la télévision française, avec Christiane Druguet, un film qui fut le parfait miroir de celui que j’étais lors de mon retour des Amériques, "jeune encore il est vrai..." Jean Jacques Lerrant eut le talent, que seul peut inspirer l’amitié, de me faire passer sur les ondes en adoucissant certaines de mes rugosités. Il m’a permis d’apparaître sans altérer mes maquillages, sans recourir à la vaseline. C’est encore lui qui m’a présenté à Jean Jacques et Nadine Lévèque gràce auxquels je fis partie de l’équipe du "Soleil dans la tête" et exposé de nombreuses fois à Paris jusqu’à la regrettable disparition de cette galerie.

POUILLET Alain né le 29/9/53 à Serbannes (03)
Voir naître et mourir une modestie au tournant d’une réussite bien méritée m’attriste quelque peu. Loin de moi la pensée d’être systématiquement l’apologiste des occultations trop sévères. Tout au contraire. Le talent peut s’exprimer d’emblée au plein soleil de midi mais n’est-ce pas une esquive que de ne pas avoir suffisamment vécu les moment qui président à la naissance des aubes. Je lui souhaite dans la réussite de conserver cette fraîcheur qu’il m’a donnée à partager lorsque nous nous sommes connus. Tout éphémère qu’elle fut, la revue "Fissure", fondée par André Iacovella, Alain Pouillet et quelques autres enthousiastes, fut la promesse de ce que devrait être, ce que Paul Valéry souhaitait : "que chaque atome de silence soit la chance d’un fruit mûr". Ils m’on témoigné leur confiance et leur amitié en me consacrant une grande partie du numéro 5 de la revue, je les en remercie.

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Les notes sur les amis et personnes qui furent importantes dans la vie de Jean Raine ont été écrites en 1985 sous forme de fiches dans la perspective d'une exposition qui aurait dù avoir lieu à la Galerie L'Ollave à Lyon et qui se serait intitulée "Autour de Jean Raine" Il aurait aimé y faire participer tous ses amis. Ces textes rédigés durant l'été 85 à Berea en Italie, furent utilisés et regroupés par chapitres dans ce catalogue.