Le 22 mai 1949
Cher Monsieur,
J’ai fait part de votre aimable lettre, de votre projet de présenter au Festival de Bruxelles le petit film-poème "Sur les hauteurs, à Madame Yvonne Zervos, 40 rue du Bac, Paris (Productions. P.D.I.C. films), grâce à qui notre tentative a pu être réalisée. Vous pouvez joindre Madame Zervos Littré 46-94 ? Ceci essentiellement la regarde.
Personnellement mes sentiments m’inclinent plutôt vers une abstention à tout recours de jugement de la part de "spécialistes" ou prétendus tels du cinéma... La plupart de ces messieurs, ici en France, discutent de problêmes techniques, l’invention matérielle a toujours la part prépondérante et décisive ! Alors que cette gageure dont la perfection monotone est atteinte depuis longtemps, ne doit importer que dans une mince relativité.
Bousculer les yeux, saturer l’intelligence (la connaissance) voilà leur grand objet ! Mais quelques westerns ont mieux que cela. Ils n’ont rien compris à la leçon de Chaplin par ailleurs. En portant image après image mon poème à l’écran je n’ai pas voulu peindre cinématographiquement le portrait de Monsieur Vincent Auriol par exemple dans les méandres de son inconscient bien nourri ou bizarre comme eut fait feu Bonnot, mais à l’aide de "papiers collés" tels Braque ou Picasso jadis, trouver aujourd’hui une "beauté" toute d’imprégnation et de correspondances à partir de cette "maladresse" et de ce don qui se trouvent dans les êtres et dans la nature pour peu qu’on se donne l’émotion de les observer et de les sentir. C’est simple. Personne ou presque n’a "éprouvé" "Sur les hauteurs" d’après ce critère.
Veuillez croire cher Monsieur, à mes sentiment les meilleurs.
René Char