Bruxelles, le 27 octobre 1949
Chers Jean et Nadine,
Nous venons d’aller voir votre fils (vous savez bien, le grand noir avec des lunettes), il grossit à vue d’oeil mais prend une furieuse habitude du noir et blanc. Tout personnage vêtu d’un vêtement coloré lui fait peur. Nous vous envoyons une photo prise lors d’une de ses dernières manifestation anti-catholique. Il galope énergiquement, ses cheveux poussent, et ses joues se remplissent...
De notre côté il y a une nouvelle importante : notre bagarre avec le parti communiste, démission de Dotremont et moi, accompagnement de claquement de portes. Il y a longtemps que nous attendions l’occasion. Elle nous a été offerte par monsieur leur camarade Fernand Lefebre, qui a la responsabilité de l’édition belge des "Lettres Françaises". Il a écrit un article pour la défense du réalisme socialiste et en a profité pour m’attaquer comme peintre réactionnaire (sic) et dans une lettre personnelle à Dotremont, comme agent fasciste et de Tito (Tito ou tard, cela devait arriver). Je t’envoie copie de la lettre que je lui ai envoyée, le ton de la suivante fut d’ailleurs plus violent.
Cette atmosphère est assez désespérante et il est inutile de continuer à correspondre avec des collégiens d’aussi mauvaise foi. Le parti actuel est devenu une rampe d’escalier pour aveugles. J’ai relu la "position politique" du surréalisme. C’est exactement la même situation. Et il fallait être de solides masochistes pour rester plus longtemps dans une telle machinerie. Le rassurant de cette expérience est de constater l’honnêteté de Dotremont. J’aimerais vous parler de tout cela plus longuement quand nous irons rue Jouffroy.
Nous comptons aller à Amsterdam pendant 3 jours pour un congrès Cobra et le vernissage de l’exposition internationale d’art expérimental du Stedelyk Museum où j’ai un envoi de deux toiles et trois lithos à la quadriennale de Liège), les Phynances remontent doucement, quelques travaux de publicité !... Solide poignée de mains et un peu de salive sur vos fronts populaires réunis.
Pierre
Micky vous envoie sa modeste orthographe ; je reçois à l’instant votre lettre.