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La Tombe d’outre mémoire (1971)

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Est-ce du temps perdu ou du temps retrouvé ? Ne serait-ce que racine ou simplement un trou ? C’est bien au fond d’un puits que croupit mon propos, eau salée que l’oeil parfois sécrète goutte à goutte. Que sont près les lointains crispant les commissures des lèvres, grimaçants, parlant une autre langue. Nulle part on n’est chez soi, pas même dans sa peau. Les ancêtres vous hantent sans qu’on sache rien d’eux. On croit à leurs fantômes. Le futur vous empoigne et déjà l’on est vieux, vainqueur d’une vie qui fuit et reste encore à vivre ; vaincu par elle aussi dans l’authentique fiction d’images jamais vues. Le temps se condense en instant, plus court qu’une intuition. Une éponge s’enflamme au contact du tableau sur lequel elle s’acharne d’un geste détrempé pour effacer les traits que la craie a tracés.

Je reviens à mon puits, à mon trou, à mes larmes. J’oublie ce que je fais, noms de gens ou de choses et finis par ne plus rien savoir, par glaner n’importe où, toujours en profondeur, moins que n’alimente les sources du désir. Rien ne me ressemble de ce qui m’a figé, ni amour dont l’acte est à peine fumée, ni peinture, ni poèmes. Dans le regard d’autrui je ne me reconnais, pellicule que durcit l’objectif grossier d’une caméra trompeuse : la mémoire se dissout dans le regard d’autrui. C’est dans ces cristallins visqueux et vitrifiés que l’on creuse sa tombe. Restent les charpentes, fragment d’os ou squelettes. Ce qui a fait la vie disparaît à jamais et d’autres mémoires, amoureuses de sépulcres, réinventent, en fait, ce qui ne fut que reflet d’autres reflets. Rien de plus qu’un soupir.

Je repense à mon père comme à un coquillage, au bruit de la mer que fait à mon oreille sa coque inhabitée. Cent fois ma mère est morte aux tréfonds de l’amour qui l’a défigurée. Tout périra sans doute dans l’océan des rêves auxquels aucun réveil ne donne réalité ou même, même une apparence. Sinon la plage immense où l’on erre, recherchant ce que l’on voudrait, religion exorcisée, dieux abolis, création sans existence, appeler sa vérité. Prisonnier d’un miroir plus parfait qu’une prison, Adam de son sommeil ne s’est pas réveillé. Eve inexistante. Posthume, enfin je vis.