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L’artiste maudit, le suicidé de la société (1981)

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I
Pour combattre le mythe qui se perpétue, mais de plus en plus difficilement, de l’artiste maudit, du suicidé de la société, pour lesquelles les bonnes consciences bourgeoises gardiennes de la décence et ignardes font des conférences. A bien croire, inclus dans les luttes, que ceci n’existerait plus, on continue en Amérique latine à fusiller les poètes, à les torturer. Mais dans nos consciences qui ont pris conscience, et connaissances acquises même si l’éducation, l’école, l’université, l’idéologie font tout pour les censurer, nous savons le pourquoi des suicides et des disparitions. Et nous savons que nos vies sont faites (doivent être faites) de dépenses et de pertes.

L’idéologie a fait beaucoup de mal à la peinture et au texte. A nous parler du beau ou de l’Harmonie on voulait faire oublier le corps du peintre et de l’écrivain et du travailleur, son écorchure, ses fissures, ses failles, donnant l’oreille offerte par Van Gogh à la prostituée comme anecdote affriolante et les crises d’Antonin Artaud. Alors que tout est lié notre corps dans la vie quotidienne et les pouvoirs, et les conditions économiques et sociales.

Lors de ma dernière visite à Jean Raine, et dans son atelier, avec mon ami le peintre Patrick Lelièvre, penchés sur les immenses encres et les huiles, nous voyions là cette puissance d’une révolte, d’un cri, d’une douleur, ET MAITRISE, langue construite pour que ce langage soit un TEXTE. Un TEXTE veut dire un grand texte, veut dire qu’il produit sur son créateur qu’il produit sur nous qui regardons la peinture pour avancer quelque part dans notre corps, notre propre histoire mise en jeu, et cela dans l’Histoire. Il reste de surréaliste et profondément dérisoire de force l’écriture du titre. Il reste un scepticisme mais l’espoir qu’être reconnu est forcément être reconnu. Mais irrémédiablement l’histoire nous mène malgré ses réactions et les régressions organisées actuelles, vers la connaissance. Et nous savons ce que le peinture de Jean Raine produit.

II
N’est-ce pas remarquable que l’opéra mette en scène le drame ? L’Oeuvre ainsi. Morceau d’histoire (contexte avec le texte, donnant le texte, le livre) la foule (qui se réunit et chante), les héros (sic), yeux et bouches, pigments dans les pigments, le geste, l’oeil dans la main, le corps courbé sur la toile installée au sol, Monet presque aveugle peignaient les nymphéas, Michel-Ange corps en cep de vigne devant les surfaces de la chapelle Sixtine. "Et un jour il ne peut plus se redresser".

III
Pour combattre le mythe que reste-t-il sinon l’arme à double tranchant, qu’il mourra se foutant bien de ce qu’il adviendra de son oeuvre, le lendemain d’un conversation téléphonique où, au bout de la ligne, Jean Raine laisse tomber ses lunettes et les cherche sous la table de travail, je le "vois", comme "peintre" qui ne lit plus, aussi s’ébroue-t-on à rire devant le photographe, à tirer la langue, à poser, à inventer des mots et des phrases historiques, sur le tranchant des H.P. et des postes de polices, disant et vivant ainsi des vérités pas bonnes à dire ni à vivre, mais s’entêtant à dire et à vivre, et plus lucide et conscient par cette sensibilité scientifique de Jean Raine, n’en déplaise aux conservateurs de mythes.

Vivre dangereusement, "nous n’avons qu’une vie, il faut dont qu’elle soit parfaite" ECRIT LE POETE, peint Jean Raine.