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L’art, le temps et l’espace (1964)

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Voilà qu’il n’y a plus rien à faire qu’à se résigner à survivre ou à faire l’inutile effort de se dépasser perpétuellement désormais ! La notion de "dépassement" étant capitale dans l’art contemporain (contemporain d’un perpétuel dépassement, du pas encore, du déjà plus), sous-entendu que le présent dépourvu de toute durée, comme le point d’étendue, ne peut être qu’une charnière dans laquelle on s’écrase les doigts.

Mais pour autant que la croyance fasse place à une conscience esthétique, je crois fondé d’invoquer un état d’inquiétude commun à la plupart des démarches artistiques d’aujourd’hui. L’accession à cette conscience comporte une initiation à la crise de nos concepts les plus fondamentaux et parmi eux, notre conception de l’espace n’est pas la moins bouleversée.

L’incidence de cette crise sur la peinture et sur les arts plastiques est manifeste. Si l’on veut bien considérer la part prise par la géométrie et les mathématiques dans l’exercice de ces deux arts indépendamment des querelles auxquelles donne lieu leur intrusion, on décèle aisément le besoin de considérer et d’éprouver l’espace en recourant aux disciplines qui ont l’espace pour objet et qui sont susceptibles de donner à cette démarche un caractère agressif d’évidence.

Je ne saurais l’oublier, l’espace où le phénomène plastique a lieu, cette étendue limitée par une volonté d’homme - ce n’est pas d’aujourd’hui que l’infini est pour la philosophie synonyme d’imperfection - est un espace virtuel très limité (qui parfois, par souci de créativité, de concentration, de symbolisation tend à zéro), un espace symbole d’espace. Mieux, le symbole d’un univers.

Ceci n’est pas sans conséquence : que l’univers change, que l’espace se rationalise - car c’est le cas - l’espace n’est plus pour nous qu’un concept, qu’une réalité et nos vies nos sentiments, nos créations s’en trouvent du même coup modifiés. Les arts plastiques, peinture et sculpture n’ont jamais cessé d’en faire la preuve. Les grands tournants, dans l’histoire de l’art et dans l’histoire tout court, sont ceux de la connaissance et l’art n’a pas pu l’ignorer.

Les idéologies qui nous le font oublier sont des reflets tenaces. Si la Renaissance, - on ricane ! - on ricane encore ! Notre foi et notre nostalgie ; expressionnisme dont notre Moyen-Age se satisfait et à présent : mon cul (Queneau n’a pas en vain promené Zazie à Paris) et j’en passe. Nous voilà devant le fait.

Je voudrais hasarder des conclusions, mais sur quoi les fonder ? Comme en amour, peut-être, on arrive un jour par ses propres moyens et l’ayant voulu, au terme désespérant de la solitude, à devenir l’ami consentant et fidèle de sa propre tristesse. (Le passé, les absences de souvenir ou des souvenirs d’absences. L’avenir aussi, problématique).

Une fiction : on pourrait imaginer comme miroir aux doutes, aux insatisfactions, un vide. Prenons la peinture en exemple : un moindre mal. Le vide en peinture pourrait, pour chaque oeuvre existante, être symbolisé par l’en-cas d’un cadre vide, toujours inadéquat. Un cadre qui permettrait de supposer que tout se passe toujours au-delà de lui. Autour ce serait l’espace, la vie ou l’oeuvre "à faire", celle qui frappe à la porte, à la vitre. Ce qui est, ce qui va être : ce qui déjà ne serait plus, ou ne sera pas. Quelle désespérance ! Je me résous à le dire, il y a trop à faire comprendre. Souvenons après tout de ce Murger qui acquiescait à l’orthographe du coeur et dédaigna l’usage de l’ s au pluriel. Le singulier de cet s n’est si particulier que seul il me concerne.

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