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Jean Weinbaum ou le scandale d’un départ (1968)

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Les chemins sont souvent longs qui mènent à l’accomplissement d’un artiste. Ce n’est pas que je fasse une mystique du détour douloureux ; mais seulement, insistons-y de l’expérience multipliée et nécessaire : celle de plusieurs naissances revécues périodiquement au cours de l’existence et celle parfois, des abandons.

Dans cet état d’esprit qui me fait dessiner comme des lignes de vies exemplaires dans la paume du créateur, en présentant Jean Weinbaum au public du CALIFORNIEN, je me sais parler d’un artiste dont la densité lourde fera le poids et fera parler de lui.

Jean Weinbaum est suisse. Il a fait ses études à Zurich, avec des ouvertures qui en font un virtuose. J’ai connu maints artistes, non des moindres, murés dans le silence de leurs mains, et je me dois de dire que tous n’avaient pas la main apte à d’autres tâches que celles qu’exige l’exercice du pinceau.

Ce n’est pas le cas de Weinbaum, dont pourtant les doigts sont le substitut de la langue ; une compensation à cette infirmité verbale qui développe un éventail d’infinis rebondissements. Weinbaum-peintre est aussi maître-verrier, photographe, scupteur, mais plus encore et c’est ce qui m’émeut, artisan capable de métamorphoser dans la vie tout ce qu’il touche. On reconnaît en lui cette amplitude qui fît, à la Renaissance, des peintres orfèvres comme Cellini.

Je voudrais tracer de lui un portrait, mais il le faudrait trop minutieux, brosser des harmonies et des discordances trop compliquées pour être fidèle au modèle. Ceux qui le connaîtront, sauront combien il est attachant et décevant à la fois, tant sur son talent la modestie jette un voile, un voile qui flotte sur quarante ans d’existence dont la moitié fut vécue à Paris dans l’envoûtante solitude du travail d’atelier.

Or dans cet envoûtement long de vingt ans, ont germé puis éclos, des fleurs étranges, pour ne pas dire vénéneuses. Pour ceux qui connaissent ce qu’est le travail d’artiste à Paris, l’aventure paraîtra moins surprenante mais toutefois peu banale. Au seuil de la quarantaine, Weinbaum abondonne tout. Le voici aux Indes, au Japon, avide de trouver ce qu’il ne possède pas, mais un milieu où résonne ce qui vibre en lui. Il voyage. Il aboutit à San Francisco et s’y fait immédiatement des amis sans chercher la compromission des milieux où l’on arrive. Sa pureté est intacte, comme son art le reflète, et de cet art, nous aurons à parler, car il apporte cette note cristalline dans un concert où tant d’accords ont les résonnaaces de la vulgarité ou l’indigence de la rengaine. 14 juin 68

Une première exposition, passée inaperçue à San Francisco (U.C.), l’a fait entrer dans l’arène sur la pointe des pieds. Mais bientôt, à Berkeley et Stanford, il aura l’occasion de faire naître l’intérêt qu’il mérite. Nous analyserons l’apport de cet artiste en quête d’un lieu où faire oublier ce que j’appelle le scandale d’un départ - non pas démission - mais recherche, après des années de vase clos, recherche d’une occasion où la virginité retrouve des origines, une enfance, compatible avec les évènements, selon cette injonction d’Apollinaire qui prescrivait de "perdre, mais de perdre vraiment, pour laisser place à la trouvaille"

JEAN WEINBAUM OU LE SCANDALE D’UN DEPART (suite)

A bâtons rompus, la semaine dernière j’ai parlé de Jean Weinbaum et de la saisissante lumière dans laquelle il nous apparaît sur le sol américain. Que son futur biographe l’interroge et se fasse l’historien du passé qu’il nous apporte. Pour ma part, en guise de testament et en quelque sorte pour passer la main, je voudrais dégager quelques caractéristiques de son oeuvre et énumérer les qualificatifs qui me paraissent majeurs, lorsque l’oeil scrute, interroge, explore, cligne, estime pour induire au jugement, cette surface à peine existante qu’est une oeuvre graphique, même si parfois elle revêt des volumes insolites.

Parlons d’abord de pureté et de monochromisme où le jaune parfois domine, ou le bleu. Un symbolisme de la couleur est complexe. Pourtant, sans se tromper, on peut attribuer aux claires visions et à leur unité la vertu même d’ingénuité ; ce don d’enfance dont j’ai si souvent fait une vertu majeure pour l’artiste. Rien de plus dramatique et de reposant à la fois que de rester enfant à l’âge de quarante ans. Weinbaum y excelle avec cette fause ingénuité qui lui permet de spiritualiser la tripaille. Nous sommes à des éternités de cette vision de l’homme qui fait que même son image incommode et sent mauvais : une vision humaniste de la tripe que ses reliefs en polystyrène transfigure. Puis aussi l’angoisse souriante, comme dans les contes d’enfants, pourtant cruels, la hantise de la fin du monde en couleurs dont nul oeil ne pourrait s’effrayer. Pourtant Weinbaum est un grand angoissé, un grand mystique, non pas à la manière dont des artistes "d’avant-garde" développent de spectaculaires.

Ici, l’aventure de Jean Weinbaum recommence. Un artiste digne de ce nom doit pouvoir, après s’être dépouillé, renaître en acceptant l’ascension qui le ramènera vers les cimes, en repartant à ce "degré zéro" qui exerce sur nous artistes, la fascination du vertige éprouvé par ceux qui ont l’amour des profondeurs, offertes à la plongée sans fin : fonds jamais atteints, quête, comme je l’ai dit dans la peur du scandale, de ce que l’on accepte sans jamais l’épuiser.