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Jean Raine, halluciné et indocile (2006)

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Très impressionnante exposition des formats monumentaux à Ostende.

Le peintre belge Jean Raine parmi les grands insoumis du XXe siècle.

Bien que belge, Jean Raine (Schaerbeek, 1927 - Lyon, 1986) a finalement peu exposé en Belgique où il reste méconnu si ce n’est des fervents de Cobra, de quelques poètes et du milieu cinématographique français ou proche d’Henri Storck. Peintre, écrivain, cinéaste, il conjugue une pensée singulière en ces formes d’expression sans jamais se laisser dominer par une autre esthétique que la sienne : libre, sauvage, hallucinée, noire même dans la couleur.

Deux expositions, l’une consacrée aux petits formats, l’autre aux peintures monumentales jamais montrées en Belgique, consacrent définitivement cette oeuvre et la placent parmi les plus véhémentes, les plus puissantes, les plus irréductibles du XXe siècle.

On n’y trouve rien qui ne soit pas hors d’atteinte des esprits convenus et communs, rien qui puisse se soumettre aux normes ou aux codes établis, car tout y est « extra-ordinaire » et participe d’un désordre issu du combat entre le conscient et l’inconscient, entre le mental et le physique que l’artiste mène tous deux jusqu’à l’épuisement des forces.

Si l’exposition des petits formats conduit à une forme d’intimité avec le travail, l’autre en livre la pleine démesure, la dimension démiurge, l’extravagance qui ne relève nullement du spectaculaire mais de la nécessité de sortir du corps et de la tête les images obsédantes qui y grouillent et les taraudent. Et le combat de Jean Raine n’est pas celui contre la mort mais celui avec elle, et c’est pour cela qu’il prend de telles proportions car les forces en présence agissent sans répit, sans concession, sans rémission.

Nécessité intérieure

Jamais, chez nous, une exposition de Jean Raine n’a été aussi hallucinante, aussi impressionnante, sans doute parce que ce n’est pas d’une démonstration de savoir faire qu’il s’agit, mais de l’expression d’une nécessité intérieure de faire surgir le trop plein envahissant d’images qui sèment la terreur en soi.

La biographie de l’artiste dira à satiété qu’il fut influencé par le surréalisme, et c’est vrai, celui de Breton, surtout celui pictural de Matta et de Brauner. Qu’il partagea un moment l’aventure et les expériences de Cobra avec pour compagnons de pinceau surtout Jorn avec ses figures visionnaires et ses êtres étranges, Alechinsky, Dotremont le poète et les autres, tous gourmands d’une liberté infinie d’expression. Et Jean Raine en solitaire des dérives éthyliques a poussé la liberté de soi et du pinceau jusqu’au « Delirium », ainsi qu’il l’a lui-même nommé.

Dans les très grandes encres de Chine, papiers marouflés sur toiles, il y a de la folie, il y a de l’expression première - d’autres auraient dit brute : celle qui ne se contrôle jamais totalement, qui échappe à l’entendement ordinaire et contre laquelle se cogne la tête.

Des figures mi-humaines, mi-animales, fantasmatiques et fantomatiques ; des figures de peur, d’angoisse, écrites dans la rage de les faire exister pour mieux les figer, pour tenter de les vaincre.

Dans les oeuvres en couleur de même format (jusqu’à 9 mètres !) les formes généralement sont plus atomisées mais le résultat n’est pas moins saisissant, très violent même, vindicatif, prenant en plus d’un cas des accents ensoriens tout à fait étonnants, révélés ici par l’ampleur et le souffle, vent d’orage et de tornade dévastatrice, qui les habite.

On ne peut décidément pas passer à côté d’une oeuvre pareille tant elle se démarque de si nombreux programmes sans défaillances, tant elle semble constamment courir à sa propre perte, s’y précipiter même, sans jamais y sombrer totalement grâce à une résurgence vitale sortie de l’enfer de soi, et plus puissante que tout.

Jean Raine, l’insoumis. 1965-1986 : les grands formats. PMMK - Musée d’art moderne, Romestraat 11, Ostende. Jusqu’au 26 février. De 10 à 18h. Fermé le lundi.

Catalogue sous boîtier, textes de Willy Van den Bussche, commissaire, et de Stéphan Lévy-Kuentz, 22 ill. coul. Ed. PMMK.