"Je suis un anarchiste libéral indépendant" clamait Jean Raine, peignant pour exprimer le délire qu’il souhaitait vivre. Sa peinture éclatante de forces vitales, fête d’étranges et somptueux cauchemars. Elle est fulgurante, foisonnante, provocante. Le musée de Brou, huit ans après sa mort, révèle un de nos peintres majeurs que Lyon ignora longtemps.
L’atelier ressemble à une arène. Jean Raine, pieds nus tourne autour du taureau et attaque en giclées noires vénéneuses, sulfureuses. Il lutte. Des fleurs ou du vitriol, c’est pareil. Il lutte contre lui-même, cherche ce délire qu’il doit assumer tout seul. Peindre, boire et mourir c’est son destin. Il le revendique et ira jusqu’au bout de sa vérité. Ce qui donne à son oeuvre toute sa beauté.
Jean Raine est belge. Né à Bruxelles en 1927, il pratique dès sa jeunesse peinture poésie, cinéma, fréquente les surréalistes, Magritte, Delvaux, puis les peintres du groupe Cobra et se lie d’amitié pour toujours avec Alechinsky. A Paris il rencontre Matta, Brauner, André Breton. A partir de 1957 il se met à peindre intensément, d’abord à l’encre de Chine, puis en couleur acrylique.
L’alcool dès lors fait partie de son expérience créatrice. Il ne s’en cache pas. Il va même jusqu’à publier un poignant "Journal d’un Delirium". Il passe deux ans à San Francisco, où son oeuvre est bien accueillie, et s’installe enfin avec sa femme Sanky à Rochetaillée sur Saône, en 68, où il connaîtra d’abord des années sombres, peignant avec frénésie, ignoré longtemps de Lyon alors qu’il expose à Bruxelles, Copenhague, aux USA, en Italie, jusqu’à ce que René Deroudille et Jean Jacques Lerrant imposent enfin son oeuvre dans la région.
C’est qu’elle n’est pas d’ici son oeuvre, et fait tache chez nos silencieux, comme son destin tragique. "Le support gorgé de forces vitales éclate en fanfares discordantes, saugrenues, comme des appels à une liesse désordonnée, aux licences scabreuses du carnaval" écrit Jean-Jacques Lerrant. Mais sa liesse se fait belle. "La décharge de vitriol plastique accumulée... se transforme par quel mystérieux phénomène en guirlande fleurie" note René Deroudille.
Le sourire sous la grimace, la parole dans le cri.
Pierre Alechinsky parle de la "liberté, l’énergie, la sauvagerie" des peintures de Jean Raine. Son monde marginal et fantastique, est peuplé de végétaux, d’êtres polymorphes aux regards obsédants, cernés de traits fébriles, inspirés par une gestuelle spontanée.
"Mon oeuvre picturale apparaîtra sans doute comme une tératologie complaisante à l’horreur, mais entre autres significations complexes qu’elle revêt, elle est, sur un plan mythique, une tentative de retrouver l’homme en germe dans une originelle animalité. Chercher à découvrir le sourire sous la grimace, la parole dans le cri, fut-ce au prix d’une régression douloureuse mais nécessaire. C’est un reflet dans un miroir que je propose sans espérer que d’autres s’y mirent jamais", s’explique Jean Raine, bien conscient que c’est une lutte personnelle contre lui-même qu’il a engagée, cherchant une forme acceptable de compromis entre sa part de "guerrier" aimant la mort d’amour, et sa part "d’homme aimé" qui est à portée de main.
Peindre est une urgence, une exigence absolue, un vertige désiré, parfois un point de non-retour, d’où il revient quand même, bataille gagnée, hors d’haleine, jusqu’à la prochaine toile, car il faut bien ressusciter.
Autant de fulgurances sied pourtant à la sérénité de Brou. Car loin des agitations cette architecture monastique aime les oeuvres qui cherchent la nature de l’homme. Le dialogue est fécond. Une cinquantaine de dessins, encres de Chine et peintures acryliques, des années 60 à 80 en témoignent.