Autre Cobra, Jean Raine expose au Soleil dans la Tête. Des traits épais, au tracé aléatoire, sillonnent la toile où une peinture semble crier sous la violence qui la jette, et ainsi se lèvent d’étranges fantômes aux yeux immenses qui, au détour d’une nouvelle fulgurance, se consument aussitôt et disparaissent dans le magma plastique. Et pourtant, la peinture n’est qu’une facette de l’art de Jean Raine qui n’éclatera au grand jour qu’en 1962, avec sa première exposition. La société n’est pas tendre pour ses asociaux qui revendiquent pour toute culture les Pieds Nickelés, et qui errent à l’Université en prenant soin de fuir ses diplômes.
Bruxellois, il fraye quelque temps avec les surréalistes belges puis, sous le charme d’Henri Langlois, il les abandonne pour la Cinémathèque française. A Paris, déçu par Breton, il voit apparaître la panacée : Cobra, "évanouissant les individus pour n’en conserver que les ombres". Partagé alors entre Bruxelles et Paris, c’est ici qu’Alechinsky le rejoint. En effet une fraternité d’écriture se lit dans leurs tableaux, mais avec ces toiles ou ces papiers signés des puissantes initiales J.R., nous assistons à un corps à corps passionné qui devient énorme sur les immenses oeuvres exposées à la Cinémathèque qui, naturellement lui rendait également hommage.
Il faudrait parler de ces gigantesques ombres d’encre noire qui se livrent un combat de titans sur le papier marouflé secrètement safran, mais il faudrait aussi parler du poète, puisque les mots furent son premier moyen d’expression, et aussi de ses nombreuses collaborations à des films, et ce qu’on lui doit dans la découverte de Mac Laren, ce génie de l’animation. Tout dire pour pas se faire prendre au piège de cette peinture-peinture, pour ne pas se perdre dans l’inextricable dédale qu’une main fougueuse a jeté sous nos yeux. Ici se côtoient l’abject et le merveilleux, dans une peinture dévorante qui digère ses propres souillures. Art torrentiel à l’unisson d’une âme déchirée.