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Je tiens à ma qualité d’amateur (1962)

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Ce n’est pas un musicien. Mais il y a beaucoup à parier qu’il le deviendra. Ce personnage a quelque chose de fantastique. Il fera sûrement un bon interprète de Mozart. Comme l’illustre compositeur, n’a-t-il pas été enfant prodige ? En effet, à l’âge de trois ans, alors qu’il n’avait encore proféré aucune parole, il déclara soudain que c’était extraordinaire. "Extraordinaire" voilà le mot bagage, le nécessaire de toilette avec lequel il grandit.

Aujourd’hui à l’âge de 37 ans, Jean Raine a besoin d’un biographe. Il est l’auteur d’apophtegmes qui forment un bel ouvrage important, mais dont personne n’a jamais entendu parler. Et pour cause, il n’a pas encore été publié.
 Comment cela se fait-il ? Lui ai-je demandé
 Voyons, dit-il c’est l’usage. Il est évident que mon livre ne pouvait être publié puisque l’apophtegme est une pensée exprimée sous une forme brève qui possède cette particularité d’être non seulement énoncée par un homme célèbre par des travaux antérieurs, mais encore d’être publiés après sa mort.

Jean Raine est poète, cinéaste. Il réalisa plusieurs films. "Le Test du Village" est l’un de ceux qui rencontra un succès estimable. L’argument de ce 35mm, en noir et blanc, vaut la peine d’attention. Le test consiste à construire un village au moyen d’un ensemble d’éléments minutieusement étudiés en fonction de nécessités diverse -nature, taille, couleur et nombre des éléments. Le sujet a toute liberté de le construire comme il l’entend, dans le temps qui lui convient. Il peut utiliser la totalité des éléments ou ne pas le faire et donner cours à sa fantaisie. Le sujet se trouve donc devant une épreuve de création libre qui l’oblige à se livrer. Son comportement, avant l’épreuve et pendant, fait l’objet d’un examen attentif.

Ce film didactique fut réalisé d’après l’ouvrage du docteur Pierre Mabille, il y a dix ans déjà. Son intérêt n’a pas diminué avec le temps écoulé. Le Test du Village est régulièrement projeté devant des publics qui s’intéressent au aux questions psychologiques. Jean Raine le présenta, il y a quelque temps à Angers. Où cela devient drôle, c’est que le même jour, à la même heure, la même séance et le même présentateur étaient attendus à Nantes. Une erreur.

Jean Raine peint d’un pinceau léger sur du papier les monstres naturels qui traversent son esprit. Dans cet esprit, il y a de l’imagination. Aussi, ces monstres arrivent-ils sur la feuille avec des plumes et des poils ébouriffés. Certains ont de longs cheveux de couleur qui leur donnent un aspect de comète. D’autres font la parade sur des vélos démesurément longs qui paraissent avoir souffert du voyage. Vélos fatigués. Des monstres ridés qui ont conservé de leur jeunesse un sourire crispé.

Ce que fait Jean Raine dans des formats souvent grandioses est à la fois gai et tragique. L’art peut être tout, ne servir à rien et servir à quelque chose. Tel semble être le propos de ces peintures dont l’auteur, s’il est sage, tient à ce que cette sagesse soit équivoque.

 Mais finalement, quelle est votre profession ? Ai-je demandé à Jean Raine.
Voilà une question qui laissa Jean Raine interdit. Pas longtemps.
Je suis un amateur, répond-il. Je ne méprise pas la qualité du travail professionnel, mais je redoute de me laisser enfermer dans une seule spécialité ! Ce qui m’intéresse, c’est d’être divers et de me placer sur le terrain de l’amateurisme. Ce terrain est, d’ailleurs, le seul où, actuellement, les contacts humains sont décontractés. C’est un peu un terrain de vacances.

La nostalgie d’un monde moins technique, plus naturel, a dicté à Jean Raine ces lignes mélancoliques : "Là-bas, sous les cocotiers, les singes après une nuit de sommeil, ouvrent leurs yeux mourants sur le jour qui se lève. Dix années, dix années de ma vie pour dormir une nuit de singe".