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Henri Langlois premier citoyen du cinéma (1986)
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Henri Langlois fut invité à monter cette exposition à l’occasion du Festival mondial du Film et des Beaux-Arts de Belgique sur la proposition d’André Thirifays. Au cours d’un de ses voyages à Bruxelles, Henri avait rencontré, par l’intermédiaire de ce dernier, un jeune belge, Jean Raine. Dans son "Autothanatographie" Jean Raine raconte :
"Encore en culottes courtes, je fais la connaissance de Magritte, Scutenaire, Lecomte du groupe surréaliste belge, et de bien d’autres. Ghelderode me fascine et le temps file. Bientôt vingt ans. Rencontre capitale, celle d’Henri Langlois au charme duquel je me laisse prendre. Me voici emprisonné, et pour longtemps, dans les mailles serrées du filet magique qu’est la Cinémathèque française, ce qui me fait émigrer à Paris"
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La vaste culture de Jean Raine plaît immédiatement à Langlois. Très rapidement, il demande à celui-ci, de treize ans son cadet, ses opinions dans tous les domaines. Il aime s’entourer de jeunes collaborateurs qui possèdent, à ses yeux, un niveau d’énergie qu’on ne retrouve pas toujours chez les gens plus âgés. Ils ont l’esprit neuf, totalement ouvert sur l’avenir et Langlois apprécie leur absence de dogmatisme. C’est gràce à ce contact permanent avec la jeunesse que la Cinémathèque se renouvellera sans cesse. En janvier 1947, Raine entre à la cinémathèque et découvre avec étonnement ce nouveau monde. [...]
[...] En effet il y a déjà des luttes d’influence. Pour Jean Raine, par exemple, la Cinémathèque iranienne n’a pas d’existence réelle. Elle s’identifie à Gaffary et celui-ci est à Paris et non à Téhéran. Et Jean Raine ajoute :
"C’était très important pour Langlois, parce que cela lui donnait une voix de plus au congrès de la FIAF. Il aurait créé une cinémathèque au Sahara pour avoir des représentants de plus... Une projection avec un écran pendu entre deux chameaux, en plein Sahara, ne m’aurait pas étonné de sa part. La Cinémathèque saharienne serait venue voter au congrès de la FIAF pour Langlois"
Les visiteurs ont le sentiment de pénétrer dans une scène tournante et se retrouvent parfois dans le jardin, égarés et ravis. Toutes les conditions se trouvent réunies pour que s’y improvisent des sketches. L’un d’eux pourrait s’intituler "Les Mystères du courrier" Chacun à commencer par Mary Meerson, croit devoir préserver Langlois débordé de travail. Parfois, le courrier ne parvient pas jusqu’au bureau de la FIAF, bien qu’une boite aux lettres spéciale ait été placée à côté de celle de la Cinémathèque. Et pour cause : lorsque le facteur remet le courrier à Mary Meerson, celle-ci pour ne pas le perdre, le place sur sa chaise et s’assied dessus... Alors chacun s’ingénie à trouver un prétexte pour la faire se déplacer et c’est devenu une sorte de jeu. Dès quelqu’un réussit à lui faire quitter son siège, un autre se précipite pour saisir les lettres et les distribuer. Jean Raine se souvient de ce jeu de cache-cache.
Mary cachait tout ce qu’elle voulait qu’Henri ne voie pas. Lorsque qu’il s’agissait de quelque chose de très important, je me débrouillais pour le retrouver et le lui remettre. Une fois j’ai même aperçu Mary enfouir des papiers dans le jardin. Alors, avec ces fausse grotte d’Ali Baba, il fallait parfois que je fasse des recherches incroyables et me transformer en géologue. Il faut préciser pourtant que j’étais du côté de Mary et un peu son complice. Je pense qu’elle a évité beaucoup d’ennuis à Henri, qui aurait très mal réagi à certaines lettres ne méritant pas de réponses. En cela, Mary avait un flair extraordinaire. Souvent je faisais mon propre tri et voyais à mon tour ce qu’il fallait cacher à Langlois. Il m’est arrivé aussi de regretter de lui avoir remis ce que Mary avait raison d’écarter."
[...] On reproche à la Cinémathèque des notes de restaurant trop lourdes pour son budget. Les contrôleurs du Ministère ne parviennent pas à comprendre qu’on puisse continuer à travailler même pendant le déjeuner ! Un jour, Jean Raine a l’idée de proposer d’installer sur place une cantine avec une vraie cuisine. Lorsqu’il annonce à Henri qu’ils allaient faire la cuisine eux-mêmes, celui-ci trouve l’idée géniale. On installe la cuisine de la Cinémathèque, on l’équipe, et finalement on s’aperçoit que cela coûte beaucoup plus cher que le restaurant... Jean Raine se souvient avec humour de cette expérience.
"D’une part, nous étions encore plus nombreux à manger ensemble et, d’autre part, nous devions permettre à Langlois de suivre son régime, entrecôtes épaisses et crudités en plein hiver ce qui coûtait fort cher. Quant à moi, j’aimais cuisiner es plats nécessitant une longue préparation - à la chinoise - et passer une semaine à préparer un plat, ce qui fait que j’y passais le plus clair de mon temps et avais mobilisé David Perlov et Tinto Brass pour m’accompagner faire les courses. Nous faisions des repas éblouissants. Tout le monde a grossi pendant cette période, qui a bien duré quatre ou cinq mois, et Langlois s’est aperçu, en fin de compte, que j’étais à la cuisine du matin au soir.
"Chacun a donc dû retourner à ses occupations et reprendre le chemin des restaurants où la Cinémathèque avait table ouverte. Notre favori était situé boulevard de Courcelles, face au parc Monceau, mais nous allions aussi, assez souvent à la "Brasserie lorraine". Mais je n’ai pas oublié non plus "Tachin", ce délicieux restaurant de la rue Spontini qui nous faisait crédit jusqu’à 500.000 balles !"