MEMOIRES - LETTRE MENSUELLE
Les chroniques d’Adrien Grimmeau. Mai 2006
Jean Raine - Les Dés sont-ils jetés ?
Exposition salutaire à la Galerie de Dion
La galerie de Dion, dans la continuité de l’exposition proposée au Musée d’Art Moderne d’Ostende fin 2005, a eu le souhait de monter une exposition sur Jean Raine à Bruxelles. L’idée n’est pas évidente, parce que l’oeuvre de cet artiste important de l’art belge d’après-guerre n’est pas de celles qui se présentent en deux mots, ou en quelques oeuvres. Il y a une telle richesse dans la création de Jean Raine, une telle diversité, que la simple idée de sélection est une gageure. Et Jean-Michel de Dion l’emporte haut la main sur son défi.
Privilégiant les coups de coeur à la rétrospective, le galeriste français installé depuis bientôt deux ansà Bruxelles procédé par coup de sonde dans la production de Raine. En quelques périodes pas toutes connues, il dresse un portrait terriblement humain d’une âme créatrice souvent cantonnée à l’image de l’artiste maudit.
Et la première impression qui sort du choix des oeuvres, c’est le flux vital. L’homme ne se résume pas à un artiste peignant ses cauchemars pour les évacuer. L’humour est là, et la sagesse, voire la joie même, parfois. Et c’est en dépassant cette image réductrice que nous découvrirons enfin un Jean Raine réel, bouleversant, encore inféodé au succès d’un Dotremont ou d’un Alechinsky, auxquels pourtant il n’a certainement rien à envier.
Raine est né en 1927 à Schaerbeek. Avant vingt ans, il a déjà fréquenté les surréalistes et le cercle formé autour des frères Haesaerts. Il part à Paris assister Henri Langlois à la cinémathèque, et participe au mouvement Cobra. Principalement poète et cinéaste, il se consacre à la peinture à partir de 1957. La boisson l’aide àatteindre d’autres zones de conscience, mais l’abus le mène à l’hôpital.
Par la suite, il peint par vagues, créant énormément, ou pas du tout, sur tout format et toute technique, selon les lieux où il réside et les contacts qu"il développe avec les galeries, et en alternance avec l"écriture. Se succèdent alors, jusqu’à sa mort en 1986, une série de phases créatrices originales et variées.
L’héritage de Cobra est bien sûr présent dans l’oeuvre de Jean Raine, et c’est par ce biais qu’il est le plus facile de l’appréhender. Mais bien sûr, comme tous les artistes de la brêve mouvance, c’est d’une manière entièrement personnelle qu’il assimile les acquis de Cobra : quête d’un fondement (l’enfance, la mythologie) qui se traduit chez lui par la création d’un bestiaire primal, liberté du geste, mais aussi recours à l’écriture, tendant parfois à la calligraphie orientale.
Voilà pour l’approche de l’art. Quant à l’intériorité du personnage, pourquoi ne pas penser à James Ensor ? Il y a ce même humour du désespoir, cette même fantasmagorie, et certaines oeuvres, dans leur esprit, rappellent par vagues le maître dOstende.
C’est ici un ensemble de près de cinquante pièces qui nous est donné à voir. L"intérèt de l’exposition de Jean-Michel de Dion est d’attirer l’attention sur certaines phases méconnues de la vie de Raine. Ainsi, sont données à voir plusieurs des oeuvres où textes et couleurs se répondent (la série Ecluse pour l’encre, en 1970, réalisée avec Ivan Aléchine, le fils de son ami Alechinsky). Mais aussi, un ensemble d’encres de petites dimensions, d’une poésie bouleversante de pureté (Licorne échouée, 60, Essais de délivrance, 68).
Du côté des périodes plus connues, nous trouvons les acryliques plus grandes, aux couleurs ravageuses, qui évoquent dans l’humour (Epanchement de Cracovie en 79, Escargot sans bourgogne en 81) ou la violence (L’orage de mes nuits blanches en 81), le bestiaire intérieur de l’artiste. Certaines encres de format géant (jusqu’ à 150 x 200 cm) rappellent les heures de gloire de l’expressionnisme abstrait.
Enfin, pour couronner le tout, Les dés sont-ils jetés, réalisée en fin de vie, apparaît comme une oeuvre vibrante, lumineuse. Selon les mots de Jean-Michel de Dion : une oeuvre "symbolique, rédemptrice, ouverte".
Jean Raine est un artiste que l’on ne fait encore que découvrir. Par une série de haltes minutieusement choisies dans son oeuvre, la galerie de Dion donne l’envie de pousser plus avant notre connaissance de cette figure emblématique, à n’en pas douter. Une visite s’impose !
Adrien Grimmeau,
Historien de l’art