Entretien avec Jean Raine Avril 1966
Radio-diffusion Télévision Française, Emission Art d’Aujourd’hui
Publié dans Scalpel de l’indécence 1996
A.P. Jean Raine qui est poète, cinéaste et peintre, expose actuellement à la galerie du Ranelagh, cinéma qui a transformé une partie de ses locaux en galerie. C’était intéressant d’exposer en même temps un cinéaste et un peintre... dans un lieu qui convient en effet à l’un et à l’autre.
A.P. Etes-vous plus cinéaste que peintre ?
J.R. Je fais une énorme différence. Je n’ai, à mon sens, jamais eu l’occasion de "m’exprimer" au cinéma. Le cinéma est un métier, passionnant d’ailleurs, mais il n’est pas une forme d’expression. La peinture en est une au même titre que la poésie et la littérature.
A.P. Au fond c’est une technique. Donc, tout ce que vous ressentez de ce monde, toute votre inspiration poétique est dans la peinture.
J.R. Oui... Pour le moment ! J’ai écrit des poèmes dans e temps et, aux limites de l’expression que le mot permet, je me suis trouvé dans une impasse. C’est alors que la peinture que je pratiquais sous forme de loisirs, est devenue à mes yeux un mode d’expression essentiel.
A.P. Quand on voit vos oeuvres, on pense un peu au mouvement Cobra.
J.R. J’ai côtoyé ce mouvement de très près. J’ai fait plus que le côtoyer puisque j’ai collaboré à la revue durant le temps de sa parution. Mais à ce moment-là, je le répète, la peinture était pour moi un moyen d’expression tout à fait secondaire.
A.P. Avez-vous été surréaliste ?
J.R. De conviction très profonde. Et encore, pour autant que je me réclame d’un esprit, avec des nuances personnelles, c’est au surréalisme que je me réfère. J’ai gardé avec les surréalistes d’excellents rapports.
A.P. Ce mouvement Cobra a été relativement bref, mais il a eu une énorme influence.
J.R. A vrai dire, nous n’avons pas voulu qu’il dure. Nous avons mi une fin brutale à ce mouvement pour qu’il ne dégénère pas en académisme. Mais nous savions très bien qu’il allait travailler en profondeur et continuer à inspirer, après sa fin officielle, de plus en plus d’artistes...
A.P. Combien le mouvement comptait-il de membres ?
J.R. Trente-cinq participants au moins, d’une vingtaine de nationalités différentes.
A.P. Sur deux ans au moins ?
J.R. De 1949 à 1951. Mille neuf cent cinquante-et-un est la date de la dernière exposition.
A.P. Et quel était l’esprit du mouvement Cobra ?
J.R. Il était très imprégné de surréalisme. Mais les peintres qui se sont groupés cherchaient une technique beaucoup plus libre que celle des peintres qui les avaient précédés : une gestuelle, une poétique du signe de l’expression au niveau plastique, et pas seulement une recherche de contenu poétique qui était la principale préoccupation des peintres surréalistes, qui employaient des techniques assez traditionnelles.