Fallait-il que Jean Raine mourût pour qu’on vit ses "images", pour qu’on le lût, ce grand peintre-poète disparu, presque oublié, il y a onze ans, près de Lyon ? Est-il mort pour cela ? "L’instinct de mort dont parle Freud n’est-il pas une chance de survie ?" écrivait-il, ce qui, sous sa plume appelle plusieurs lectures. Est-il mort de cela, lui disait aussi : "Chaque réveil est un traumatisme renouvelé de la naissance" ?
La mort, qui est venue tôt, les bonnes gens diraient qu’il l’avait bien cherchée et parleraient d’or. Il l’a cherchée, trouvée, conjurée, non sans bouffonner en bon flamand, en tout : dans ses écrits qui nous gardent trace de sa logorrhée qu’il disait "instrument de se taire", ses apophtegmes volontiers cruels, souvent désopilants, à l’occasion gaillards ; sa poésie où, dit-il, "l’impudence est de mise" mais aussi "le vide atroce est là un plongeon dans la mort", dans son terrible "Journal d’un delirium", en intellectuel conscient, l’interrogeant à la lumière de la psychanalyse, en patient mais dès avant en écrivant dans plusieurs articles.
La mort et la douleur sont omniprésentes dans son oeuvre pictural dès ses débuts perceptibles en peinture (aujourd’hui dispersés, difficiles à connaître) le tuant et le faisant vivre et créer. Elles sont oeuvrant aussi bien dans les noirs et les blancs des admirables encres, qu’il donne après qu’un long coma en 1961 lui ait ôté la perception des couleurs que vingt ans plus tard, dans ce qui est peut-être le sommet de son art, les immenses acryliques sur papier, au format grandissant, au coloris de plus en plus délicat et éclatant à la fois, à mesure que la fin approche, que ses forces déclinent, que le travail ne peut plus se faire sans la présence, l’aide, y compris matérielle, de la femme aimée - qu’elle, il rend à la vie :
"Tu seras ma veuve, tu survivras à mon envie de t’enterrer entre mes bras."
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