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Cobra un art libre (1983)

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Alechinsky rencontrant Dotremont à l’exposition de "La Fin et les Moyens, c’est une nouvelle greffe pour Cobra. Si Jorn et les "Abstrait-Surréalistes" représentent la génération de 1914, Constant et ""Reflex" (ainsi que Dotremont) celle des années vingt, Alechinsky et ses amis bruxellois (Jean Raine, Luc de Heusch, Reinhoudt, etc.) en sont encore à la ligne de départ : nés autour de 1927, avec la seconde guerre mondiale pour adolescence, tout commence vraiment pour eux à la Libération. Et après la Libération, il y a Cobra. [...]

Cette figure de la "Mère Terrible" domine tout le numéro suivant de Cobra (n°7 automne 1950). Jean Raine lui consacre un article freudien dans ses références.

Pour Jean Raine peintre, Cobra s’est totalement et tardivement passé après Cobra. Il a gardé des relations épisodiques avec Alechinsky qui présentera sa première exposition parisienne, à la galerie du Ranelagh, en mars 1964 : "les choses ne vont pas si vite. Il n’y a qu’un brouillard lent duquel sortent quelques formes destinées à être vues d’abord par soi, puis par quelques autres, lentement. L’important, c’est de les sortir, ces formes, et le pouvoir n’est pas un privilège mais une joyeuse infirmité". La lente progression de Jean Raine vers la peinture apparaît plutôt comme une régression : à tâtons vers "L’homme en germe dans l’originelle animalité" dira-t-il. Mais n’avait-il pas déjà formulé dans un poème le souhait hyper rimbaldien : "Dix années, dix années de ma vie pour dormir un nuit de singe" ?

Cobra avait cette nostalgie de l’instinct, de l’homme physiologique. Jean Raine qui a poussé loin - trop loin, peut-être, pour un artiste - sa connaissance de la psychanalyse, y distingue surtout des pulsions obscures, du négatif ; l’âge d’or originel-final n’est qu’une ruse qu’il s’attache à déjouer. L’Eden en nous est une Enfer. Il le crie dans ses poèmes - mais "passer du cri au mot est une funeste aventure ; il le montre dans ses grandes encres de 1962-64, puis, quand il a enfin atteint la couleur (après 1966), dans des peintures qui sont autant de psychomachies. Assiégé en lui-même, par lui-même, attaqué, attaquant. désordre ivre : "Je bois jusqu’au seuil de l’inconscience quand je travaille". La mort rôde dans ce magma. La peur panique.

D’escalades en dégringolades (il aime ce dépréciatif ironique), Jean Raine a parfois accès brutalement aux zones les plus inquiètes, les plus menacées, les plus inquiétantes. Ou bien s’agit-il de "Simulacres", d’une "Tératologie complaisante à l’horreur" ? Le malaise est généralisé (come on dit du cancer), jusqu’à l’intenable. Mais toute peinture instinctive n’en prend-elle pas le risque ? Jorn le savait, le redoutait, en jouait. Jean Raine est plus proche de Wols : il dé-peint l’autodestruction. Et s’il fait surgir des remous de sa peiture tant d’yeux dévorant leur visage, il ne se proclame pas moins peintre aveugle.

Quand je l’ai visité, dans le vieux château de Rochetaillée près de Lyon, où il a élu domicile depuis 1968, il m’a dit "J’aimerais ne pas passer pour un artiste". Mais il avait écrit auparavent : "En peinture comme en toute occurrence, un acte manqué étend le champ d’une imagination fertile". L’oeuvre come acte manqué. La vie elle-même ? A l’extrême limite de Cobra.