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A la cimaise : Jean Raine (1968)

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Claude Barrère
LE CALIFORNIEN 1968
A la Cimaise
Jean Raine à la Britton Gallery

Un temps de pose, une moue, un sourire candide qui prend tout son visage. Le dessin a conquis Varda. C’est son hommage spontané à Jean Raine. Peignait-il de la même façon quand, à Belleville, Christiane Rochefort l’allait voir en voisine ? La manière lui importait peu. Ce qu’elle appréciait chez Jean Raine, c’était son don de soi. Pour qui ne connaît pas l’artiste, la compréhension de son oeuvre reste une énigme.

Si la peinture peut être une étape dans sa recherche de soi-même, elle n’est pas une fin. Cinéaste avant d’être poète, poète avant d’être peintre - tout artiste n’a que les limites de ses capacités mais ne connaît pas celles de son imagination - Jean Raine a découvert dans la peinture cette abnégation qu’il n’arrivait pas à traduire dans ses films ou dans ses poèmes. Et s’il lui faut absolument abandonner la peinture pour servir un autre art il saura se plier une fois de plus aux exigences du désir de perfection, croyant par là même être en harmonie avec l’Art et assouvir un besoin de nouveauté. Car s’il lui arrive de reprendre une toile, deux ans après, et de la travailler jusqu’à ce qu’il y ait communication entre lui et son dessin, il lui arrive aussi de rester devant sa toile, attendant l’inspiration, doutant de lui-même.

Amoureux du noir et blanc, il tire des formes, des contraste que la couleur atténuerait. Conquis par le précis des peintures japonaises, par leur absence de superflu, il se bat pur équilibrer sa toile. Mais c’est par là-même qu’il pêche ; à force de trop vouloir équilibrer il s’éloigne des règles japonaises. Ses scènes au contraire sont fantasques. Certaine font penser à un baller du Marquis de Cuevas, avec des personnages laids, d’autres à des figures de Cervantès.

Mais ces dessins ne sont pas Jean Raine entièrement. Ils ne sont qu’une part de lui-même, qu’un moment de son existence : depuis qu’il est à San Francisco (pour peu de temps), il se laisse tenter par le bleu, le vert, le rouge. La couleur en somme. Demain, peut-être sera-t-il superbe. Sait-on jamais ! Un homme tant qu’il a encore son souffle, n’a pas fini de surprendre.

Il croit au renouveau mais cesse de le reconnaître dès qu’il est entaché de conformisme. Surréaliste, parce que telle est sa façon de penser, membre du groupe Cobra jusqu’à sa dislocation, parce qu’il y avait découvert sa secte, Jean Raine ne reste pas moins un homme, et peut-être l’est-il plus que beaucoup qui croient l’être. Christiane Rochefort disait de lui : "Si le monde était rempli de Jean Raine, voilà l’Age d’or". Nous y sommes.