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Jean Raine (1987)

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Cette exposition se propose de montrer des fragments, les plus représentatifs possibles, de plus de vingt ans du travail de Jean Raine. Elle n’a pas pour but de le réinsérer dans un courant de peinture. Seul Raine qui fut son propre et meilleur critique aurait pu grimper à l’arbre génianalogique de son oeuvre. Issu de Cobra auquel il se réfère tout en s’en démarquant, il ne nous laisse pas de repaire lisible dans sa peinture, et ce serait abîmer la matière que de l’aller gratter à la recherche de sous-couches, en d’hypothétiques reprochements.

Sa peinture est cri. Il faut beaucoup tourner autour avant d’en envisager la lecture, contourner l’exhibitionnisme de Narcisse et toujours garder en mémoire que là où nous parle chacune de ses oeuvres ne se trouve pas nécessairement son propos de l’instant. Il a emporté avec lui les lieux d’où jaillissait sa symbolique, et ses desseins cachés.

Il laisse à l’usage de nos projections la face lisible du dessin. Un dessin au geste ample et libre. Du zen, Jean Raine a ceci : la sureté du trait qui file sur le papier. Au seuil de l’acte de peindre, il mobilise toutes les forces penchées au dessus du vide, du Rien, et dans cet état proche d’une "peinture automatique", il les garde sous contrôle, domestique Eros et Thanatos, les laisse dire selon sa main. Confronté au vertige de l’oeuvre à venir, Raine en appelle au rythme pour mieux maîtriser la forme. L’erreur, l’errance ne lui sont pas permises. Il a trop à dire et ni le temps ni le goût de se dédire.

Ce goût ne lui revient que lorsqu’il en a fini avec cette re-production de la mise à nu. Quand s’est éteint ce qu’il regardait peut-être alors comme le jeu de la recréation, il pose sur l’oeuvre achevée le regard du rire. Il la baptise au nom de l’adieu, de la dérision et de l’esprit. "Déconfiture pour la tartine", "Pompes pour un oeil triste", "Cobra pour qui en veut", "Etc, etc, etc..."

Distance d’avec les anti-coeurs qui ont présidé à la naissance de la toile, "la tristesse et la mélancolie", le déchirement, et aussi d’avec ses propres codes. Pour mieux nous embrouiller ? En un "Malentendu souhaité", titrait-il une oeuvre de 1967. "Pour être sûr de n’être pas aimé" ?

Si comme pour tout peintre qui a eu à dire, il restera du mal-entendu, cette exposition a dans l’idée d’apporter à Jean Raine, s’il en est encore besoin, cette autre forme de re-connaissance qu’à chaque acte de peindre il allait chercher. Et de répondre ainsi à l’un de ses apophtegmes du "Journal d’un delirium" : "Un jour on jettera sur mon oeuvre un regard qui me fera hésiter".