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Arts (1975)

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Peinture et poésie. La conjonction de ces deux termes confère à "Phantomas" sa signification, la prévision de sa démarche. Leur identité fut affirmée, mais de manière quelque peu ambiguë par Guillaume Apollinaire. "Moi aussi, je suis peintre", écrit-il, et déjà, pour avoir donné au concept son sens créatif dans l’oeuvre plastique, il aurait justifié sa prétention. Il est allé beaucoup plus loin à partir des "Idéogrammes lyriques" et des "Calligrammes".

Entre la sémantique du poète et celle du peintre une confrontation s’imposait à laquelle plusieurs numéros de Phantomas ouvrent la voie, et c’est sous le signe des affinités électives qu’elle fut inaugurée.

L’épine dorsale de la participation belge est mince mais solide, révélatrice d’un choix, d’une sévérité : Serge Vandercam, acteur et témoin d’autres aventures (dont celle de "Plus"), y prend sa place aux côtés de Pol Mara, Maurice Wyckaert, Louis Van Lint, Wout Hoeboer, Marcel Broodthaers et d’autres.

A Paris, ou plutôt dans son Ecole, Alain Jouffroy (responsable notamment d’un "Apparatus" pour lequel il reçut carte blanche) et Jean Clarence Lambert vont glaner les oeuvres les plus rares dans les ateliers les plus secrets.

"L’Italie me botte", aurait pu s’exclamer Théodore Koenig lors d’une crise aiguë d’Aphorismose, car c’est de là surtout que me vint la lumière. De Gianni Bertini à Emilio Scanavino, la chaîne de l’amitié se déroule en toute liberté au point que les "Généraux" de Baj semblent avoir retenu un air phantomatique. L’attention que porte Phantomas à ses amis peintres en fait d’ailleurs plus qu’un répertoire une chronique du fait pictural contemporain, une chronique qui se réfère moins au passé qu’elle ne laisse pressentir l’avenir. Manzoni qui signe une sculpture vivante, nous annonce déjà "Gilbert et Georges", et la "merda d’artista", qui déjà fait écho à "l’armerdre" d’Alfred Jarry, la mise en conserve du concept.

C’est pourquoi la création en dehors des circuits culturels a toujours trouvé ici son audience. Ainsi l’art brut, l’art naïf, ceux que j’ai nommés parallèles, et l’art de l’anti-art lui-même, y débouchent-ils sur un classicisme du marginal. Si Phantomas se penche volontiers sur Dada, c’est pour surprendre sa vie seconde, son nouveau souffle oxygéné par le Surréalisme. Vis-à-vis de ce dernier, elle a pris rapidement ses distances que le Surréalisme, même, après la mort de Breton crut devoir envisager à son propre égard.

C’est à l’ "Homo Ludens" que se réfère le plus volontiers l’inspiration littéraire que la matière plastique de la revue.

Mais cet "Homo Ludens" évoque moins le divertissement et la gaudriole que l’esprit du "grand Jeu" de René Daumal et cette jeune pensée d’Elie Faure : "si terrible soit la vie, l’existence de l’activité créatrice sans autre but qu’elle même suffit à la justifier. Le jeu évidemment, paraît au premier abord le moins utile de nos gestes, mais il en devient le plus utile dès que nous constatons qu’il multiplie notre ferveur à vivre et nous fait oublier la mort".

Que Phantomas ait choisi comme thème de l’un de ses prochains numéros, à travers les oeuvres de Erro et à l’initiative de Sergio Dangelo : Caminati, Kujawski, Fontana, Hausmann et d’autres, le "Hasard Objectif" est dans cette optique, révélateur. C’est sur le plan thématique que l’adéquation entre le texte et sa mise en image (il faudrait bannir définitivement le mot "illustration") atteint sa plénitude expressive. Dans "La Mémoire", par exemple, la série des neuf mnémothèques de Guido Biasi, vient à la rencontre de certains textes qui semblent être leur prolongement affectif. Pour Phantomas, peinture et poésie sont des parallèles qui ont le privilège de se rejoindre, deux langages qui interfèrent, mais aussi qui se font la courte échelle pour sauter le mur des sons et des couleurs.